Article de Pierre Dardot et Christian Laval publié dans la revue du MAUSS 2023/1 (n°61)
En août 1996, au Chiapas, eut lieu la Première Rencontre intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme. Dans le compte rendu qui en fut donné alors, on pouvait lire à propos du pouvoir du capitalisme néolibéral : “Pour faire face à ce pouvoir global, il faut établir des connexions et des résistances elles aussi internationales. Les nouvelles formes de résistance et d’opposition à ce pouvoir ne peuvent se limiter aux frontières nationales. (…) Dans cette perspective, il faut inciter à une réorganisation de la société dans tous les pays, à la création de réseaux de communication internationaux, décentralisés et construits à partir de la base, à une organisation globale qui articule diverses luttes locales, à développer une campagne de défense des libertés politiques et à rendre permanentes les rencontres internationales comme celle qui nous réunit aujourd’hui”.
Tribune publiée le 1er mai 2023 dans la revue Diacritik
Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval, Pierre Sauvêtre, co-auteurs du Choix de la Guerre civile, Lux, 2021
On dit beaucoup de mal de Macron à propos du passage en force de la réforme des retraites. On le dit égotiste, arrogant et tout sauf habile. On oublie qu’il est l’homme de la situation, dont la fonction historique aujourd’hui consiste à poursuivre un projet qui le dépasse. Il convient en effet de se déprendre de la petite analyse « psychologique » pour considérer objectivement une politique qui, pour être brutale et parfois tragiquement irrationnelle, n’en a pas moins un sens précis dans l’histoire de nos sociétés. Les caractéristiques personnelles et même sociologiques d’un individu comptent à l’évidence mais seulement pour avoir fait de Macron ce chef de guerre qu’on admire ou qu’on déteste.
Article de Pierre Dardot paru dans Le Monde diplomatique Chile le 30 avril 2023
De tous les livres que j’ai pu écrire, ce livre est indiscutablement le plus personnel. Il l’est tout d’abord en ce que c’est le seul livre que j’ai écrit seul : j’ai écrit tous mes autres livres avec Christian Laval, de La nouvelle raison du monde (2009) à Dominer (2020). Mais il l’est surtout en ce que son écriture a sollicité un sens que je n’ai jamais mis en œuvre avec une telle intensité, celui d’une empathie politique à distance. Cette expression insolite mérite une explication. Pour commencer, ma génération (autour de 20 ans en 1973) a été durablement marquée par le Chili, à la fois portée par l’élan de l’Unité populaire et traumatisée par le coup d’Etat de Pinochet. Beaucoup plus tard, fin septembre 2016, je suis allé pour la première fois au Chili, invité à des « journées transdisciplinaires d’études sur la gouvernementalité » à la Faculté des sciences sociales de Santiago. Cette invitation faisait suite à la réception du premier des deux ouvrages mentionnés plus haut, entièrement consacré au néolibéralisme.
Article de Maïte Bouyssy paru dans En attendant Nadeau le 1er avril 2023
Ce livre d’histoire au présent montre le poids du néolibéralisme dans la restructuration des hommes et des sociétés. La dépinochétisation n’est pas que ce qui se détricote après la violence dictatoriale. Philosophe politique, Pierre Dardot montre comment les couches populaires économiquement précarisées, terriblement endettées, ont reconstruit des formes et des lieux de politisation, sans que ces mouvements sociaux riches et inventifs puissent permettre la victoire de la proposition de la Constitution qui avait été largement discutée. L’anxiété devant l’hypothèse démocratique, longuement inculquée, pèse. Et d’abord sur les plus démunis, comme on le voit, hélas, bien au-delà du lointain Chili.
Pierre Dardot, La mémoire du futur. Chili, 2019-2022. Lux, 304 p., 20
Postface à l'édition espagnole de La memoria del futuro parue le 24 avril 2023
Le 12 décembre 2022 restera comme un jour de honte pour la démocratie au Chili : les tractations laborieuses menées entre partis politiques accouchèrent ce jour-là d’un « accord pour le Chili » conclu dans le dos des citoyens et sans aucune consultation. L’Accord « pour la paix sociale et la nouvelle Constitution » du 15 novembre 2019, qui fixa le cadre du premier processus constituant, avait au moins été conclu sous la pression de la révolte populaire, quand bien même il avait pour objectif de dévoyer le mouvement dans l’ornière institutionnelle d’une Constituante subordonnée aux pouvoirs constitués. Rien de tel pour l’Accord du 12 décembre 2022. En recul par rapport à celui du 15 novembre, il constitue une véritable régression anti-démocratique par rapport à la Proposition d’une Nouvelle Constitution (PNC) élaborée par la Convention constitutionnelle (4 juillet 2021-4 juillet 2022).
Entretien avec Pierre Dardot paru sur Mediapart le 4 mars 2023
L’échec du processus de changement constitutionnel au Chili a laissé un goût amer. Après la révolte d’octobre 2019, l’élection du président de gauche Gabriel Boric et le travail patient de la Convention constitutionnelle qui a rendu la Magna Carta la plus démocratique et avancée qui soit, son rejet par 62 % des suffrages exprimés le 4 septembre 2022 a sonné le glas d’une sortie du système néolibéral, maintenu depuis la fin de la dictature de Pinochet.
Dans son essai, La Mémoire du futur. Chili 2019-2022 (Lux, 2023), le philosophe Pierre Dardot analyse rigoureusement les raisons de ce fiasco, des erreurs de la Convention elle-même au poids de « l’expérience néolibérale » sans oublier la « défaite politique » du gouvernement dont « la seule vertu est d’avoir protégé par son existence l’espace de la Convention ». Mais son regard n’est pas désenchanté pour autant.
Lire la traduction italienne :https://www.machina-deriveapprodi.com/post/memoria-del-futuro-cile-2019-2022-intervista-a-pierre-dardot
Livre de Pierre Dardot, paru chez Lux Éditeur le 03/02/2023
Chili, 18 octobre 2019: un soulèvement populaire d’une ampleur inédite ébranle le système néolibéral maintenu depuis la fin de la dictature de Pinochet. 4 septembre 2022: la proposition constitutionnelle élaborée par la Constituante issue de cette révolte est rejetée par référendum.
Pendant ces trois ans, les mouvements sociaux ont mené un processus de politisation d’une rare intensité, nourrissant les débats dans et en dehors de la Constituante. L’expérience politique ainsi acquise, précieuse en enseignements qui vont bien au-delà du Chili, fraie une voie originale, celle de la réinvention de la démocratie comprise comme activité de tous les citoyens, et non comme le monopole de politiciens professionnels.
Une telle réinvention se poursuivra, d’une manière ou d’une autre. Elle requiert un travail de l’imagination politique qui interdit toute volonté de restaurer un lointain passé idéalisé ou de reproduire les récents gouvernements «progressistes». Un exercice que les féministes chiliennes nomment la «mémoire du futur».
Conférence de Christian Laval January 18th, University of Naples Federico II
We are currently experiencing dark times for democracy. Not only in totalitarian countries or under authoritarian regimes or governments. Even in the old liberal and representative democracies civil liberties are under threat, and after the pandemic, the war in Europe has not improved anything, on the contrary. Time seems to be directed to nationalism, international rivality, and xenophobia. As for educators, these are particularly difficult times too. Not only because of their economic and social situation, which in many countries is regressing, but also because of the political pressures they face, unjustified denunciations, sometimes state violence or repression.
Intervention de Pierre Dardot au colloque de Pau " Créer le présent, imaginer l'avenir " (28 février-2 mars 2022)
L’imagination est une faculté que possède l’individu comme sujet. L’imaginaire constitue à l’inverse un ensemble de représentations qui prend sa source dans la société et dont la diffusion manifeste l’action inconsciente de la société sur l’individu. Une opposition tenace s’installe ainsi dans nombreux champs disciplinaires. Une certaine psychologie ou sociologie tend à opposer explicitement l’« imaginaire » à l’« imagination ». Christophe Dejours affirme ainsi : « L’imaginaire (social) s’oppose ici conceptuellement à l’imagination (subjective). L’imagination est le résultat du travail psychique de liaison, à partir de formes figurées (les fantasmes) produites par le sujet lui-même et de leur association à des pensées latentes. […] L’imaginaire social, en revanche, est un répertoire d’images données de l’extérieur par la société… » On voit ici que l’individu produit de l’intérieur de lui-même les formes figurées ou fantasmes mais que l’imaginaire social lui est en revanche donné de l’extérieur et fonctionne un peu comme un « prêt-à-penser », s’apparentant de très près à ce que l’on nommait naguère l’« idéologie ».
La imaginación es una facultad que posee el individuo como sujeto. El imaginario constituye, por el contrario, un conjunto de representaciones que tiene su origen en la sociedad y cuya difusión manifiesta la acción inconsciente de la sociedad sobre el individuo. Una oposición tenaz se instala, de este modo, en diferentes campos disciplinarios. Una cierta psicología o sociología tiende a oponer explícitamente el “imaginario” a la “imaginación”.
Intervention de Pierre Dardot au séminaire du GENA du 30/05/2022
On fait la guerre à un ennemi. Nous avons intitulé notre dernier livre Le choix de la guerre civile. Mais ce choix n’équivaut-il pas au choix de l’ennemi ? Le choix de la guerre civile par les néolibéraux s’identifierait alors au choix d’un ou de plusieurs ennemis, de sorte que l’ennemi ne serait pas identifié antérieurement au choix de la guerre civile, mais identifié dans et par ce choix. Qu’en est-il à cet égard de la distinction ami/ennemi que Schmitt présente dès 1932 dans Le concept du politique comme la distinction spécifique du politique ? Nous reconstruirons systématiquement la thèse de Schmitt en articulant les unes sur les autres plusieurs propositions.